Wednesday, June 13, 2007

Ernest Pignon-Ernest et Ingres à Montauban

Il est un sanctuaire du dessin que l’on nomme le musée Ingres à Montauban. Cet été, on y donne une exposition du meilleur Ernest Pignon-Ernest. En effet, cet artiste contemporain a choisi d’investir les salles du culte ingresque. Là où l’amateur du néoclassicisme se plonge dans les affres du démon de la technique absolue. Vous savez, ces petits bouts de papier grignotés de portraits si savants qu’on les dirait conçus par une araignée qui sait frapper sa proie à l’instinct, droit au but, à l’organe vital.

Ingres ne savait pas que jouer du violon. Il savait jouer de nous autres regardeurs, comme l’archet joue de l’instrument. Qui n’a jamais été arrêté dans sa course à l’art facile, par les Odalisques de monsieur Ingres ? Blanches mais orientales comme nos libidos étendues, elles sont si bien dessinées en courbes de hanches qu’elles en disent à Leonardo soi-même. Et pire encore, elles causent un peu au plus féminisant Botticelli, qui fut le maître du maître ultime.

On connaît les grandes oeuvres dessinées par Ernest Pignon-Ernest. Plus avant, on sait qu’il les maroufle, c’est-à-dire qu’il les colle sur les murs pompéiens de Naples, ou en d’autres capitales des arts de la rue. Il est un grand maître du dessin reconnu, sinon le maître du graphisme aujourd’hui. Et ce n’est pas sans quelque provocation qu’il a choisi de laisser ses oeuvres, d’allure très classicisante, à l’usage sinon à l’usure des regardeurs passants. Les oeuvres à peines postées à la colle, les promeneurs peuvent en emporter quelque lopin déchiré. C’est donc une sorte de geste un peu conceptuel que l’artiste sait mettre en oeuvre pour replacer, en quelque sorte, des citations baroques du Caravage et d’autres considérables passants. Et à la rue foisonnante des situations qui inspirèrent toute la peinture en ses détails les plus triviaux et donc vrais. N’est-ce pas dans la rue et dans les boutiques méphitiques que Michel-Ange avait vu les premiers modèles des surhommes ébauchés qui peuplent sa Sixtine ?

On le voit, Pignon-Ernest est un artiste de la mouvance postmoderne qui aime à citer les peintres du passé et d’autres plus contemporains. Puis, l’artiste prend des photos de ses collages qui feront oeuvres aussi. Puisqu’elles sont exposées au musée, à côté de ses dessins et des mines de plomb d’Ingres. Pour les mettre en une perspective de maîtres quasiment bouddhiques, en tous les cas canoniques. Comme s’il s’agissait d’étalonner, une fois encore, la mesure de ce classicisme qui revient éternellement en vagues cycliques.

Cet art du "disegno" n’a jamais cessé de régler les arts visuels. Car, il en est la base même. Cette exposition est une manière de monstration, que tout l’oeuvre tiendrait dans le dessin juste, qui sous-tend l’ensemble. Telle une idée ou une "eidolon" platonicienne, soit une image qui serait une idée dans le même temps. Un paradoxe qu’Aristote sut résoudre, quand il affirma que l’oeuvre était en puissance dans le bloc de marbre ou sur le blanc de la toile comme on voudra. Et par le biais du "concetto" sis dans l’esprit du peintre qui voit et projette l’oeuvre sur la surface. Au commencement ce "deus pictor, deus artifex" dessine le dessein. Il faut reprendre en main l’oeuvre magistrale de Erwin Panofsky intitulée "Idea", et qu’elle retrace toute l’histoire du concept d’idée qui a mené à la perfection du disegno.

En conséquence, c’est toute la programmatique de la Renaissance que l’on trouve dans cette chaîne des génies toujours simples quand ils sont olympiens ou classiques. Et il n’est pas anodin, et même est-il de l’ordre du dévoilement pythagorique, qu’un artiste très contemporain comme Ernest Pignon-Ernest ait pris cette ligne claire et si précise du dessin juste. Mieux encore, quand il se réclame de Picasso dont on dit qu’il a certes cassé le dessin, mais après avoir prouvé sa virtuosité achevée dès ses 16 ans. Ici, on comprend mieux que tout artiste honnête, aujourd’hui, ne pourrait que dire dans ses oeuvres sincères que tout a déjà été dit. Ou que nous nous répétons sans fin, par cette même ligne de force du dessin qui presse nos destins en ajoutant de l’art à l’art, ou du classicisme à la modernité.

Ainsi, après Ingres ou Picasso, on ne trouverait plus de vrai progrès en art. Et finalement, le premier dessin ultime avait balancé le tout cash. Finalement, dès Lascaux, tout avait été dit...

Demian West

Exposition "Situations Ingresques" Ernest Pignon-Ernest - du 6 juillet au 14 octobre 2007 au musée Ingres à Montauban.

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