Monday, July 23, 2007

Paris au XXIe siècle




Autour de la gare de l’Est à Paris, le piéton stationne car il attend son train. Là, il a tout le temps de bien voir la ville dans laquelle il fut ferré ou pris. Quand son regard oisif peut enfin s’émanciper et voir les lignes de forces de l’urbanisme dévoilé. Plus avant, nous montons le petit escalier vers la rue d’Alsace où l’amoureuse Amélie Poulain suivit son photographe étrange et fantasmé. La rue suit les voies ferrées du TGV et des trains d’autrefois. Aussi, on peut voir l’immense vague de la couverture en verre de cette gare, si proche de la gare du Nord de quelques rues espacée.

L’invention du train et de la voie ferrée au XIXe siècle se fit dans les mines où l’on cherchait le minerai, qu’il fallait aussitôt transporter dans la fabrique de l’industrie du nouvel âge de fer. Là, on inventait les pompes pour évacuer l’eau, et les ascenseurs pour transporter les ouvriers et la machine à vapeur qui fut simultanée à la Révolution française quand elles ouvrirent cette nouvelle prospérité. Ce furent des dizaines d’inventions liées qui firent ce XIXe siècle. L’architecture en métal permit d’ajourer toute la couverture des gares derrière des façades encore citationnistes de l’Antiquité, conformément au style Napoléon III soit l’éclectisme. Aujourd’hui, ajoutée à la façade de la gare du Nord, une verrière vient donner toute la dimension futuriste à l’architecture urbaine du dernier XXe siècle. Depuis les années 1970, les concepteurs du postmodernisme aimaient à assembler des époques dans le même bâtiment, et souvent selon un rythme binaire simple. Une façade néo-classique était prolongée et ouverte par une structure high-tech, qui sait évoquer les bandes dessinées de la science-fiction.

Car, cette fois-ci les concepteurs ne voulurent pas manquer le train de l’avenir. Comme les dessinateurs du début du XXe siècle, et publiés dans l’Illustration, avaient tout faux dans leurs imaginations de l’an 2000. Plus probablement, l’an 2100 sera-t-il plus conforme à ces délires gonflés de dirigeables et de grandes verrières qui feront nos villes sous cloche, où le marcheur ne craindra plus les intempéries. On se souvient que ce fut Léonard de Vinci qui dessina la première ville aux passages couverts et sur plusieurs niveaux.

En été, la gare du Nord est un monde très cosmopolite, où l’on compte une population vraiment mêlée et de toutes origines. Les gares sont des lieux mythiques où nos fantasmes s’agitent de bruits autorisés qui ont inventé le rock avant l’heure. Il y a des ambiances de concerts d’une synesthésie des arts au plein de la ville ouverte sur l’ailleurs, et le plus loin possible. La verrière monumentale, que vous pouvez voir ici et tout le reportage, semble une grille d’une cartographie célestine posée par l’architecture fonctionnaliste. La fonction crée la forme. Plus tard, on comprendra au XXe siècle la grande beauté qui se dégage de ces fonctions, si mélioratives de l’homme et de sa société. Et d’une certaine façon, ces grilles de lectures de verre et de fer renvoient à la juridiction du réel qu’Alberti et Brunelleschi mirent en oeuvre. Quand ils inventèrent la perspective visuelle à point de vue unique dans l’art de la peinture et l’architecture de la renaissance.

Les voyageurs assis dans le train des salles d’attentes ne se doutent pas un instant, qu’ils seraient pris dans la toile d’une grande araignée jetée à la Renaissance. Quand l’homme est devenu un démiurge, à la place de Dieu. Et par l’effet des arts et des techniques qu’il a su prendre aux dieux d’une façon toute prométhéenne. Ainsi, quand on prend le boulevard Magenta on saisit mieux encore, combien la ville est un organisme vivant et complexe dont chaque individu est une cellule dans un corps composé d’artères et de lieux de repos ou d’autres trafics inavouables, selon la tradition à l’entour des gares.

On arrive bientôt au plein de la structure rayonnante des boulevards qui s’espacent depuis la place de la République. Selon le programme Haussmannien, assez louisquatorzième, tout devait être vu dans ces artères afin que rien ne sache bloquer le flux qui est vital pour tout l’organisme. Par ailleurs, il fallait éviter le caillot du coagulé révolutionnaire dans ces temps rougis comme le fer au feu.

C’est Hippodamos de Milet qui conçut le port du Pirée à Athènes qui fut la première ville dessinée selon un plan orthogonal. Et selon deux axes, le premier va de l’est à l’ouest ou le decumanus et le second s’étend du nord au sud, c’est-à-dire le cardo. Plus tard, la ville médiévale s’est constituée plus librement en des strates ajoutées l’une à l’autre en périphérie du centre mystique et du pouvoir. Ainsi, on vit des villes s’étendre en spirales ou d’autres en des cercles plus concentriques. Mais toujours avec un enchevêtrement constitué selon un ordre assez naturel et non rationnel. Une maison s’ajoutant à l’autre comme on voulait. Quant à la structure radioconcentrique de l’urbanisme au XVIIe siècle, elle rayonnait depuis la statue équestre du roi solaire. Tous devaient voir Louis XIV pour l’admirer, quand le roi devait voir tous ses sujets pour les surveiller.

On longe la place de la République, et l’on achoppe sur le sans domicile fixe qui fabrique sa petite boutique d’objets, qu’il vend surtout aux étrangers qui semblent surpris de ce Paris du tiers-monde sinon du quart-monde ou pire encore... Quand il ne choque plus l’indigène parisien qui lui jette des regards compassionnels et entendus. Puisque le petit marchand de cendriers orfévris de canettes usagées fait partie du nouveau paysage urbain. Comme un rappel savant du XIXe siècle, vers lequel nous retournons au rebours. Le touriste est un peu effrayé de ce coup d’oeil. Puisqu’il est tout nimbé de cette impression qu’il ressent d’être au coeur du monde. Dans la plus belle ville vue à la télé et perçue ou rêvée dans les contes publicitaires et la littérature en tombereaux des nouveaux codes vinciens vulgarisés. Et finalement, c’est bien ce qu’il voit. Car ici, rien n’est factice, et le riche et le pauvre et l’homme du commun de l’ordinaire, tous sont vrais. Certes, le Parisien est blasé, mais, il pense rarement ou jamais à quitter sa ville intense et toujours recommencée.

Au loin, on voit l’axe de la porte Saint-Martin par laquelle Louis XIV entra dans Paris, après ses victoires de guerres. C’est droit vers la Seine. Mais, nous prenons l’avenue de la République qui descend jusqu’au boulevard Ménilmontant et vers le Père Lachaise des tombales mémoratives. Nous y allons et, au passage, nous glanons des vues où se joignent des effets de vert du mobilier urbain parisien, du jaune de la poste familière et du rouge des enseignes sous lesquelles les employés fumeurs s’adonnent à leur grève préférée non pas du vice.

C’est une bonne occasion de regarder les belles parisiennes qui sont une troupe innombrable. Et sur des jambes qui claquent du talon selon la plus fine aiguille des sonorités propres à chaque arrondissement. On ne marche pas à Saint-Germain-des-Prés comme on traîne à la Bastoche. Et une oreille avertie, par l’expérience de ces douces et fines approches, saura faire la différence comme un meilleur ornithologue des caprices féminins.

Au cimetière du Père Lachaise on goûte la célébrité des autres, quand soi-même on est toujours vivant. Ce qui nous poste un avantage considérable sur les grands de ce monde d’en dessous. Et il n’est pas si troublant de constater que les mêmes ordres de plans ont constitué ce royaume des morts, comme ils ont conçu la ville des vifs. Finalement, cette structure urbaine se trouverait plutôt et immanquablement dans le cerveau de chacun d’entre nous. Telle une toile de l’araignée paradigmatique qui ratiocine au-dedans de nous. Mais quelle ville serait en nous ? Sinon la topographie des mots qui constituent notre inconscient. Tant et si bien que nous nous sentons chez nous dans la ville. Car elle est un voyage dans notre propre intériorité.

Un peu comme dans le roman de Huysmans A rebours, dans lequel le chevalier des Esseintes prépare son voyage à l’étranger. Et qu’il en jouit tellement, par avance, en y pensant sur le chemin de la gare, qu’il décide de rentrer chez lui. Car, penser le voyage fut bien meilleur que l’entreprendre entièrement. C’est ainsi que naquit le courant symboliste et toute la ligne de force de l’imaginaire, qui fit l’art du XXe siècle et le nôtre aujourd’hui.

Promenade photographique par Demian West

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