Thursday, July 26, 2007

L’école de New York au MET




Du 18 septembre 2007 au 3 février 2008, le Metropolitan Museum of Art de New York revient sur la grande époque des expressionnistes abstraits des années 1940. En effet, la collection Muriel Kallis Steinberg Newman a su réunir les plus grands artistes de cette période. Et leurs œuvres, qui vont des grands espaces peints sur la toile aux dessins plus intimistes.

C’est une peinture en recherche d’elle-même. Puisque, à l’époque, et par le biais de l’influence des artistes européens échappés du nazisme, la peinture figurative aux États-Unis vira complètement vers l’autre rive. Tout d’abord, les artistes assistés par le Work Progress Administration étaient subventionnés par le gouvernement, qui leur commandait d’immenses fresques figuratives pour tous les lieux publics prestigieux. Dans le même temps, les œuvres de Matisse et de Picasso avaient bien franchi l’Atlantique par le truchement de la presse internationale, mais en noir et blanc. Et ce fut ce graphisme cubiste et fauve qui marqua les artistes américains, toutefois libres d’en interpréter les couleurs et donc de créer leur propre influence imaginative.

Par ailleurs, les surréalistes avaient inventé l’écriture automatique à l’hôtel des Grands Hommes, juste à côté du Panthéon à Paris. Entre écriture et peinture gestuelle, Masson inventa une nouvelle forme d’expression, qui réussit massivement aux États-Unis dans les grands espaces paysagers qui savent libèrer l’esprit. C’est ainsi que Jackson Pollock créa une peinture hybride entre intellectualisme européen - sinon français - et chamanisme amérindien, dans une consommation constante d’alcool pour, en somme, jeter un aqueduc entre ces deux cultures assez inconciliables.

Il posait la vaste toile sur le sol. Puis il prenait des bidons qu’il chargeait de couleurs, pour l’en asperger dans une danse assez contrôlée. Comme un conducteur ivre évite l’accident, tant qu’il le peut sur ce fil du rasoir. On parla plutôt d’action painting menée par son dispositif du pinceau qui giclait plus qu’il ne peignait : le dripping. Parfois, il touchait la toile pour y ajouter quelque griffure de mégot ou d’autre substances inavouables, pour achever le tout et sa cuite. Car l’expressionnisme abstrait donnait à voir un certain lyrisme dionysiaque dans la gestuelle spontanée.

D’autres peintres exprimaient, tout à l’opposé, la retenue en des plages de couleurs résolument mystiques, ou, à tout le moins, philosophiques. C’est-à-dire qu’elles étaient imprégnées de la recherche psychanalytique selon Jung. Ces recherches formelles et colorées étaient souvent teintées par la pensée bouddhiste zen, et par d’autres penseurs germanopratins plus indéfinissables encore. Mark Rothko fut un peintre énigmatique qui cherchait on ne sait quelle forme du dieu inconnu. Il pratiqua la peinture telle une médiation dans les champs colorés, et finalement très empourprés de couleurs instables. Il termina assez mal, par un abus de suicide définitif, fruit de la pensée torturée par la pratique picturale, ou l’inverse. On ne sait pas encore où tout ceci naît et se mélange, dans l’artiste et sur la toile aussi.

Bien que le mouvement se constitua sur le mode painterly ou pictural, on en vint vite à des considérations venues du sérail le plus fermé au béotien de l’art. Car, il devenait de plus en plus urgent de trouver un motif valable à peindre. Cette question, du référent à représenter sur la toile, travaillait toute la peinture depuis l’invention de la peinture paysagère. Plus on allait vers l’abstrait, depuis les Nymphéas de Monet aux aquarelles abstraites de Kandinsky, et plus le motif, ou moto, qui émouvait le peintre à l’extérieur en plein air, dut se transposer dans l’intériorité et donc dans l’intellect. C’est pourquoi les œuvres monumentales des expressionnistes abstraits citent aussi bien les grands paysages américains que la signature même et la gestuelle de l’esprit du peintre, et donc son identité remarquable.

En 1948, quelques expressionnistes abstraits fondèrent un groupe intitulé Subject of the artists pour bien dire que cette question du sujet revenait aux artistes, qui choisissaient désormais de s’autoréférencer dans leur propre peinture. La collectionneuse Guggenheim, les critiques Robert Coats, Clement Greenberg et Harold Rosenberg suivirent de près cette "école de New York" et, plus près encore, le Marché, qui jubilait. Car cette politique culturelle sut installer la suprématie américaine et newyorkaise dans le milieu artistique et le Marché mondial. Au détriment de Paris, et tout à cause de la Seconde Guerre mondiale, qui vida l’Europe de ses artistes jetés à la mer.

Le courant des anciens expressionnistes abstraits trouva une postérité nombreuse dans les écoles successives du Shaped Canvas, qui interrogea le support et la toile en de nombreuses pratiques proches de la sculpture informelle. Aussi le Colorfield travailla sur les champs de couleurs et leurs effets visuels et psychologiques de la gestalt. Enfin, le Hard Edge de Newman jouait des effets tranchants et géométriques inusités.

L’"école de New York" a créé d’immenses toiles afin que le "regardeur" puisse s’immerger dans la peinture comme dans un monde pictural "pur", ou mieux encore psychique en soi. Et c’est l’effet enveloppant que l’on ressent, devant ces plages de peinture dont le regard ne sait plus voir la fin. Tant et si bien, qu’elles donnent un sentiment de jamais vu, ni espéré. Et, dès lors, le corps, c’est-à-dire l’esprit, comprend que la couleur est une énergie qui peut transformer ou agir sur la psyché, soit pour l’apaiser, soit pour l’éveiller à d’autres mondes encore inconnus et toujours recommencés.

Demian West

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