Thursday, July 19, 2007

Le Summer of Love au Whitney Museum de New York


Le Whitney Museum of American Art fait son "Summer of Love" jusqu’au 16 septembre à New York. Autant dire que cette exposition favorisera les rencontres flirtantes entre nostalgiques des années beat et hippies. A la mitan du XXe siècle, tout s’enflamma soudainement, quand la guitare de Jimi Hendrix fut immolée par le feu et par son guitariste même. Un geste qui serait équivalent à Zidane mettant le feu à son ballon, ce qui n’arrive plus de nos jours.

Le premier Summer of Love surprit toute l’Amérique puis le monde entier. Quand des jeunes étudiants américains se réunirent innombrables dans le quartier de Haight Ashbury à San Francisco, et juste pour être ensemble. Aussitôt, ces mouvements prirent l’allure de migrations saisonnières si bien tournées vers la libération sexuelle, et sur fond de musique électrique adoucie par des drogues californiennes, forcément excessives. Ce fut comme la réussite tardive des échappées de Gauguin et de Van Gogh, soit de toutes les avant-gardes du tournant du XIXe siècle au XXe siècle. On y vit aussi un rappel des communautés du Monte Verita, au bord du lac Majeur en Suisse. Là, où la société s’était reconstruite, autour de la guerre de 14-18 et sa folie qui ne se laissa plus ignorer.

La beat génération entreprit aussi quelque résurgence des courbes de l’art nouveau, dans la manie des posters illustrés aux couleurs criardes de la libération de toutes les sensualités. On attend toujours une archéologie de ces posters d’un art populaire qui alla plus loin que le Pop Art lui-même. Dans les années 60, la troisième guerre mondiale et froide s’espaçait dans le congélo du napalm filmé au Vietnam et montré à la télé à l’heure des repas en famille du noir et blanc. Et il suffisait maintenant ! En d’autres termes, les jeunes ne voulaient plus la faire, et leurs professeurs non plus. Ce qui mena vers une contestation étendue au monde entier jusqu’en 68. C’est-à-dire, jusqu’à la fin du mouvement hippie, qui vit l’avènement du no futur. Dans le cynisme punk qui bétonna effectivement le futur et le présent, jusqu’à l’irruption de la transe collective et participative de la société numérique et internétique.

Car, le Summer of Love fut aussi la constitution d’une Presse underground qui écrivait toutes les minutes du process de la contre-culture, et dans une langue désormais directe. Aussi sur le mode lyrique hégémonique de la poésie de Ginsberg ou de Dylan puis de Jim Morrisson et des festivals rock, à Monterey d’abord. Ces grandes messes païennes tournèrent vite au happening ou à la performance, qui annonçaient explicitement le multimédia et l’achèvement de la synthèse des arts, selon Kandinsky et selon l’oeuvre d’art totale de Wagner.

Par ailleurs, la mode vestimentaire exhuma les vieilles étoffes des amérindiens assez "rock’n roll". Car ils firent un noeud définitif à la cravate occidentale si propice aux hiérarchies des noeuds pas si coulants. On retira même tout vêtement, pour aller nu à la façon des premiers hommes de la plage, dont la galerie de l’évolution nous assure qu’ils surfent désormais sur la vague cyber. Ces pratiques hippies ne furent pas sans évoquer des rites qui étaient en grande et vaste coutume au siècle d’or d’Auguste à Rome. Quand des mages et des prophètes gnostiques enseignaient leurs nouvelles religions dans la Méditerranée romaine. Le Christ y était en grande concurrence avec Simon le magicien. Et de la réussite de l’un ou de l’autre baba assez gourou dépendait tout un monde et une culture doublement millénaire.

En effet, comment ne pas voir les similitudes idéologiques et affectives entre le Summer of Love et les groupuscules qui minèrent lentement l’Empire romain et par le biais d’un message d’amour et de libération égalitaire. Puisqu’au XXe siècle, on vit renaître ces sectes orientales au plein du monde occidental. Elles glissèrent tout aussi aisément vers les pratiques sexuelles libératoires, selon l’initiation diffusée par les Ophidiens et les Barbélognostiques, entre autres adorateurs du serpent d’airain moïsiaque. Il reste que l’empereur Auguste, qui était le garant des bonnes moeurs, était en charge de repousser ces pratiques orientales réputées lascives, et donc dévirilisantes à la manière de Cléopâtre qui ruina César et Marc Antoine trop amoureux et donc asservis.

Pourtant, l’histoire avance selon une marche pendulaire qui sait osciller entre ces deux pôles résiduels que sont le sentiment et la raison. Et, au premier siècle comme au XXe siècle, le sentiment de la couleur et des passions gagnait du champ sur la raison et la rationalité régulatrice des sociétés. Ou plutôt, la couleur et la sensualité féminisantes l’emportèrent sur le dessin régulateur et donc sur la masculinité, selon les termes du débat ou de la "disputatio" qui avait été engagée par l’Académie dès le XVIIe siècle français. Dans une dispute qui fit encore rage tout au long du XIXe siècle. Puisque les autorités politiques jugeaient, comme par un préalable apodictique et d’ordre universel, que la rationalité et donc l’homme devait maîtriser la passion et la sensualité, c’est-à-dire la femme. Et tout pour maintenir l’ordre cosmique du marché consumériste.

On le sait, c’est le courant symboliste qui l’emporta, et son érotisation du réel par le biais de la couleur et de la courbe qui savent électriser et érotiser le tableau et donc la vie. De la même façon, dans les années 60, les autorités et les instances en charge de la société furent dépassées par la révolution féminisante du credo "Peace and Love". Les arts plastiques avaient déjà promu le renouveau shamaniste ou le retour des pratiques magiques ou suggestives. Aussi, tous les arts concourraient à la création de nouvelles structures sociales plus libératoires et résolutoires. Les expériences de John Cage et La Monte Young ouvrirent plus encore aux formes d’arts interdisciplinaires entre arts picturaux et visuels, vers la musique et vers les performances des masses à Woodstock. Et l’on pensera aisément y retrouver quelques fêtes dionysiaques de la Grèce antique, qui participaient des mystères, sur le mode orgiaque des célébrations de l’amour joint à la nature.

C’est une dérive issue de ces communautés mystiques informelles qui coula la fête et toutes les polissonneries sur la nappe fleurie. Quand le délinquant Charles Manson manipula quelques paumés pour commettre une orgie meurtrière. L’assassinat de Sharon Tate brisa la réputation du Flower Power, avec l’aide non requise des mainstream médias qui surent en faire leurs gorges chaudes. Aussi, Woodstock tourna vers le côté obscur de la fleur, quand les Hells Angels firent leur bavure policière à Altamont, et devant un Mick Jagger assez bouche bée comme le logo des Rolling Stones désenchanté. Enfin, les expérience huxleyenne de Timothy Leary, le théoricien du LSD, s’échouèrent dans la débâcle des trafics de drogues dures qui font désormais partie de l’économie obscure et occulte de notre société. Finalement, le business n’aura retenu que la plus mauvaise descente de ce songe d’une nuit d’été de la Love.


Demian West

No comments: