Sunday, July 22, 2007

Le pèlerinage estival au Louvre




Dans les galeries du Louvre et entre les oeuvres, on y trouve le spectacle du monde rassemblé pour un pèlerinage païen. En effet, en été, c’est la nuée des touristes qui viennent à Paris en toute conscience qu’ils sont parvenus, après un long voyage, au centre même du monde culturel. C’est la richesse ajoutée à la France, par l’art souvent négligé par son propre public de natifs trop sûrs de leur patrimoine. Tant et si bien, que les Français ne vont guère voir comment l’art se porte dans le coffre à bijoux du plus heureux style renaissance.

Le Louvre, c’est le prétexte parfait pour la promenade où l’on croise tantôt de belles Texanes propices à l’admiration des Français, qui sont bien cotés sur le marché de l’amour, mais juste en passant. Tantôt, on croise des modèles orientaux ou méditerranéens surgis de l’Antiquité sans aucun hiatus. Comme si la beauté idéale attirait sa semblable en des voyages temporels. Ainsi que le font les insectes qui se cherchent à des distances infinies pour s’accoupler et se reproduire en leurs modèles génétiques.

On entre dans la galerie des marbres antiques où tout est blanc, un peu ivoire. Là, les canons de la Grèce antique bandent leurs muscles fixement et fermement pour l’éternité. Le Gladiateur Borghèse est taillé dans ce ressort qui fait rêver les filles et les garçons épris d’idéal masculin et de jouvence. C’est l’Allemand Winckelmann qui imposa ce concept que la sculpture grecque et la romaine étaient incolores. Quand on sait depuis, que les statues étaient peintes et même versicolores. On dirait aujourd’hui, sur le mode hyperréaliste. Car tout y était fidèle à la carnation des dieux, tels qu’on les avait imaginés puis vus. Parce qu’on les avait créés à notre image, mais idéalisée. C’était un rituel antique appelé le Lectisterne, dans lequel on reconstituait des repas de dieux composés de statues peintes dans la villa romaine.

Ainsi, pour créer au préalable un corps divin, on prenait les parties les plus belles et chez des modèles respectifs nombreux. Pour composer un assemblage de perfections vers l’homme ou la femme plus conformes au beau idéal. Cette tradition fut une nécessité culturelle, pour améliorer, d’une certaine façon la conscience et le respect dus au corps. Aussi, on spiritualisait le corps en y ajoutant l’empreinte de l’esprit soit du bien et du beau. Et les oeuvres du néo-classicisme plus tardif de Canova expriment ce lissé parfait, avant les déformations de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Amour et Psyché est un chef-d’oeuvre d’art classique du beau idéal. Certes, il est lisse mais tout chargé de sentiment amoureux de la caresse. Et donc, un peu différent du lissé froid d’un Thorvaldsen qui en devint presque stérile de sa perfection atteinte. Car cette recherche fut aussi une contrainte assez eugéniste, avant l’heure. Comme si la perfection était une promesse de bonheur. Quand souvent elle mène à la pauvreté des sensations et du sentiment dans l’art.

Dans Amour et Psyché le visiteur peut voir une veine sombre dans le marbre, que le sculpteur a découverte en cours de travaux. Et ce fut le drame ! Car le marbre n’était pas d’un blanc si pur qu’uniforme. Juste à côté, on peut voir les Esclaves de Michel-Ange, dont l’un a le visage traversé par une semblable veine malheureuse, qui vient briser l’harmonie de l’ensemble. Bien sûr, nous n’avons pas, aujourd’hui, le même regard que les artistes anciens portaient sur ces accidents dans leur travail. Car en revanche, ces imperfections nous séduisent. Puisqu’elles savent agiter l’oeuvre de réalités brutales, qui semblent plus conformes au goût et à la fureur de notre époque. Le visiteur ne le sait pas. Puisqu’il est rarement informé de ces contingences d’études, dont on parle peu dans la périphérie de Houston ou à Plombières-les-Bains.

Les Esclaves de Michel-Ange sont le manifeste de la conception de l’art selon Aristote. C’est-à-dire que la forme parfaite ne viendrait pas seulement d’en-haut ou d’un modèle platonicien et suprasensible, sinon ouranien. Elle est en puissance, et donc enfermée dans le bloc de marbre. Et le sculpteur doit la mettre en acte. Soit il doit retirer la matière pour en dégager cette forme, qu’il a vue, qu’il a imaginée ou devinée dans le bloc. C’est pourquoi, on sent bien que ces esclaves se libèrent en des contorsions improbables de ces blocs primitifs que Michel-Ange a laissés intacts en certains endroits. Et certainement, pour nous dire qu’il pensait déjà à la qualité d’oeuvre achevée, qu’il prêtait justement à des oeuvres dites inachevées. Ce que Monet imposera au monde entier dans ses pochades ou ses esquisses peintes qui sont des miracles de virtuosité.

C’est ainsi, qu’on est happé par le bloc de la Victoire de Samothrace qui est une proue échouée en haut de l’escalier monumental. Et qu’elle n’est pas sans évoquer quelque stratagème surréaliste. Telle la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre qu’on aurait posés sur une table de dissection. Il y a même un peu des souvenirs du Naufrage du bateau l’Espérance par Caspar David Friedrich le romantique allemand. Car, la Nike de Samothrace est un promontoire des visions que la mystique a figées dans le marbre lourd et transparent. Les Grecs savaient aimanter le marbre qui aimante à son tour les peuples migratoires et photographiques.

A la vérité, on est surpris par des étincelles qui rompent la coutume très règlement au Louvre. Autrefois, on n’osait guère photographier les oeuvres peintes. Quand aujourd’hui, les flashes s’allument sans laisser. Et dans tous les coins, sans qu’aucun vigile consentant n’intervienne. C’est donc une nouvelle tolérance qui s’est imposée par le fait technologique. Les appareils sont si petits qu’ils sont un oeil prothétique de fait. Et que les instances du musée ne voudraient pas énucléer le visiteur qui flasherait trop sur une oeuvre.

C’est autour de la Joconde qu’on assite à ce phénomène grégaire presque orgiaque. Subitement, on assiste à des comportements irrationnels. Certains, qui sont enfin parvenus aux pieds de la belle amante, se retournent pour la quitter du regard et poser pour la photo intitulée : "J’y étais". Ainsi, se privent-ils de quelques secondes pour admirer plus encore la Joconde qu’ils ne reverront probablement jamais. C’est l’extase qui provoque ces actes compulsifs et contraires. Tous assemblés, ils expriment parfois leur déception devant cette image terne et couverte de monceaux de vernis et de lopins du verre le plus armé jusqu’au lit de béton tout autour. C’est une sorte de sanctuaire de la Suisse en France, un pré carré de la Lloyd’s. Et l’on voit presque des puissances d’argent ou des anges aux ailes plaquées d’or qui sont pris dans les glaces conservatrices du musée congélo. Plus généralement, quelques starlettes américaines, en démonstrations à Paris, paraissent plus promptement déçues par ce petit bout de femme, qui les snobe depuis si longtemps. Pire encore, sans que la rivale Joconde ait jamais pris la moindre ridule, dans son sourire en coin overbooké derrière son hygiaphone du change aux monnaies. Tout ça rit vert, comme le vieux billet qui croit encore en God, mais le God des affaires.

Et en face de la Joconde, il ne fallait pas moins que les immenses Noces de Cana par Véronèse, pour faire le poids d’or contre la paroi de la Joconde bien accrochée au cuir des tentures et pour les cycles des siècles. Plus loin, c’est la noyade du public dans les eaux immenses du Sacre de Napoléon Ier par David et son atelier d’ouvriers maquilleurs de la peinture d’Etat. On s’y noie plus sûrement dans ce tableau, que dans le Radeau de la Méduse par Géricault, qui aimait trop les chevaux qui finirent par le tuer.

Tout compte fait, nul ne regrettera son grand voyage entrepris pour se pencher au balcon de la Joconde. Car le Louvre sait rappeler à chacun, les péripéties des temps anciens. Quand on risquait vraiment sa peau pour aller voir les oeuvres nichées dans leurs lieux natifs. Aujourd’hui, il suffit de poser son avion et son havresac au Louvre, où tout le monde va prendre son drink de culture pour la vie. Inutile de préciser la chance que nous avons, en tant que Parisiens et Français, de jouir de la proximité de tant d’oeuvres, que nous pouvons négliger comme Crésus ignorait sa petite monnaie qu’il jetait à la cantonade réjouie.

Promenade photographique au Louvre par Demian West

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