Wednesday, May 30, 2007

Les Masques Papous à Branly

Le nouveau musée du Quai Branly est un espace un peu étranger qui nous ouvre aux arts premiers de la Papouasie et plus précisément de la Nouvelle Irlande, jusqu’au 8 juillet 2007. En effet, il est bienvenu que les cubes futuristes de l’architecte Jean Nouvel accueillent ces arts du masque. Car l’architecture du musée Branly renvoie aux constructions de l’abstraction des années 20 et 30, qui devaient elles-mêmes beaucoup aux arts appliqués des Indes. Les arts appliqués orientaux et les arts premiers influencèrent directement l’art occidental, après les expositions universelles à Paris autour de 1900.

Toutefois, la persistance de la géométrie dans l’art du XXe siècle est venue de plusieurs sources. D’une part, la mécanisation et la rationalisation des formes s’est imposée par les nécessités de la société industrielle. Mais aussi, il est un biais plus primitiviste. C’est Baudelaire qui appela au retour des formes primitives ou premières, après qu’il avait vu les portraits d’Amérindiens par le peintre Catlin au mitan du XIXe siècle. Le divin poète et critique d’art eut la vision de l’aristocratie très antique de ces sauvages qui aimaient les couleurs franches et les formes synthétiques ou abstraites. Car les qualités formelles de leurs parures lui semblaient bien plus parlantes à l’esprit que les oeuvres ordonnées de l’art académique. Ensuite, le symbolisme de Gauguin acheva cette sorte de retour polynésien à la vie sauvage. Par un voyage que l’artiste fit vers le Pacifique et aussi au-dedans de l’Occidental qu’il était, et qu’il sut se transformer en barbare retrouvé.

Dans le même temps, à Paris, on aimait à simplifier les formes des décors. L’Art déco s’était inspiré des études et de la géométrisation du monde floral, d’abord curviligne dans le style de l’Art nouveau en coup de fouet. Puis la nouvelle synthèse vint aux formes plus quadrangulaires du style Art déco. Finalement, les cubistes ont su imposer le carré qui était le module et le motif central dans les assemblages des décors de l’artisanat indien et oriental.

Mieux encore : on sait que la culture indienne dravidienne vient des peuples de la mer et de l’océan. Par le biais de Mohendjo Daro, c’est-à-dire de la capitale très antique de la Grande Désse Mère, et découverte au bord de l’Indus. Aujourd’hui, nous savons que la culture indo-européenne est venue en partie des voyageurs ou des explorateurs primitifs qui s’espaçaient dans tout le cinquième continent, soit dans l’océan Pacifique. C’est le continent de l’élément aquatique, presque sans terre et sans enfer, et donc sans divinité souterraine. La sagesse des peuples en a gardé le souvenir d’une culture paradisiaque d’îlots toujours verts, et sans vraie mesure du temps. Les rites qui s’y pratiquaient sont assez semblables à nos happenings contemporains conceptuels et shamaniques. Car les artistes actuels en ont repris les termes et les recherches liées aux forces magiques de la suggestion. D’ailleurs, ne sont-elles pas si liées aux pratiques psychanalytiques ?

Ces formes des arts primitivistes ne laissent que des traces. Souvent, il nous reste des masques qui sont censés représenter non pas des individus vifs ou morts, mais plutôt leur présence. Comme un effet de la magie initiatique qui est l’origine même des arts depuis la préhistoire. C’est pourquoi, le jeune initié papou ne verra-t-il son masque qu’une seule fois dans sa vie, avant qu’il soit caché pour toujours dans la hutte initiatique. Quand ces masques et parures animiques ne sont pas tout simplement détruits, après la cérémonie des sociétés secrètes Tubuan où l’on sacrifie quelques porcs rôtis aux esprits.

A la vérité, les objets de l’art des origines sont des cristallisations symboliques des entités invisibles. Ils sont comme la mémoire de leur gestalt ou la forme qui imprègne le clan. Et ces gestalts et imprégnations sont à nouveau activées par la cérémonie Malagan des deuils. Là, on y cause tabou-tabou ou des interdits qui savent jeter de savantes frayeurs, comme des regards de Zeus soi-même. Et parfois on se pense au plein d’une bande dessinée de Hergé, en Tintin tout collé à la vitrine de la momie de Raspar-Capac, en plein vertigo des "Sept boules de cristal" . Dans ce musée, on voit des poupées chargées de la force magique des ancêtres que l’on a jamais eus. C’est donc la grande exposition de l’étrangeté comme on va au train fantôme. Ce sont les vrais masques exposés et faits de plumes de grands animaux emparadés, de bois d’essence spirituelle, et de cornes de bêtes sorties des buissons gras qui ont d’abord fasciné les expressionnistes allemands, puis les surréalistes, et avant tout la peinture de Picasso.

Dans les premières années du XXe siècle, Picasso complètement fauché avait invité ses amis, dont l’écrivain Max Jacob, dans son atelier. Ils poussèrent la porte et le premier cri de terreur de tout l’art contemporain. Car ce qu’ils virent était tout simplement scandaleux. Ce fut le premier choc des avant-gardes. Et bien qu’amis de Picasso, ils se pâmèrent d’effroi tellement le scandale éclata dans l’atelier même, et pas dans une galerie devant la presse convoquée selon la culture du rang d’oignons. Ils venaient de découvrir "Les Demoiselles d’Avignon" peintes par Picasso. Enfin, on dira plus justement qu’il les avait dépeintes. En effet, le tableau montrait des prostituées aux visages taillés à la serpe ibérique du primitivisme le plus radical. Le tout fut arrangé par des influences venues des masques des arts premiers de l’Espagne et de l’Art nègre.

C’était la marque ou la griffe de ce style international sinon mondial des hommes prélogiques qui venaient de fracasser la porte du sanctuaire des arts classiques. Picasso avait retrouvé le lien perdu avec ces peuplades primitives des origines. Des cultures qui pensaient sans rationalité et sans concevoir une séparation entre le monde des morts et le continent des vivants. Quand le monde était un et sans dualité. C’est aussi un art en forme de sagesse du cinquième continent du Pacifique Sud, qui est le pays de la mer où l’on ressuscite sans nécessité d’un passage initiatique par les enfers souterrains, comme dans l’orphisme et le christianisme. Car à l’inverse, l’Occident plaçait le voyage des morts dans un enfer sous la terre. C’est à Branly qu’on rencontre cette culture radicalement différente de la nôtre, et qu’elle fait toujours son plein effet de masque hypnotique, en plein Paris, entre la tour Eiffel et la statue de la Liberté.

Demian West

Papouasie-Nouvelle-Guinée :

http://www.youtube.com/v/LgjmVr0vk68

Sur les Demoiselles d’Avignon :

http://www.youtube.com/v/N0uqcawUGa0

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