Thursday, October 18, 2007

De l’utilité du Journal Citoyen en tant que médium inaugural au XXIè siècle.

La plupart des matins de la sainte semaine, je me connecte à Agoravox. Je le fais avec le sens intime d’une bonne machine de notre temps, mais pas automatiquement et donc assez naturellement. Car, c’est ma coutume de m’y rendre. Puisque là, je suis assez assuré de pouvoir y lire quelques bribes et lopins de textes inusités. Parmi de nombreux textes convenus qui semblent sans intérêt et plus ou moins inspirés par l’étude de la Bible des machines à écrire prosternées. Parce qu’ailleurs c’est-à-dire dans le monde des médias rangés sinon arrangés, le langage convenu serait la règle et la norme qui savent savamment stériliser le monde de l’imaginaire. Et qu’on l’appelle tantôt l’information du centre ville.
Toutefois, la valeur ajoutée d’Agoravox me semble émerger de cette confrontation que le médium nous assure et nous distribue en des rôles joués par avance. En effet, en entrant son "login" on accepte certainement d’être apposté face à la pire adversité des nôtres pensées et opinations personnelles. En effet, ici, en Faust goethéen qui avance de ce pied-là sur le seuil des forums débattus, chacun rencontre à coup sûr son contradicteur le plus acharné, qui monte certainement à droit fil depuis les enfers du café du commerce. A ce qu’on dit tantôt dans la Presse professionnelle. Et ce semble bien le principe même, qui est surfément balancé au creux du dispositif conçu par les brethren lumineux de Rosnay & Revelli (un film sur leurs vies est probablement en préparation).

C’est un peu, comme si un banal lepéniste devait, au seuil d’Agoravox, envisager sur-le-champ et presque naturellement d’étudier la sublime langue arabe. Ce qui est une torture très perverse pour un xénophobe qu’on sait endurci comme un collectif viagra. Et cette méthode d’apprentissage forcé des langues de l’Autre se voudrait guérir, en quelque sorte, la phobie du xéno qui craint toujours les beaux et nobles cheikhs du désert. Même si d’aucuns les trouvent assez sexy quand ils sont nippés à la mode plus énième du très long et traînant Lawrence d’Arabie. Par ces détours de riches étoffes, on constate que tout ceci ne serait pas aussi simple qu’un banal défilé luxueux à Louxor chez Lagerfeld de la famille Karl des top-modellos.

C’est un puissant effet d’Agoravox et donc ce serait sa probable utilité, qu’il faudrait apprendre la langue de l’autre pour communiquer enfin. Puisque nous sommes tous raisonnablement perdus dans cet espace internet, qui est vigoureusement labouré en tous sens imprévus. Et cet effet est d’autant plus puissant, que les réactions sont si tendues dans le temps singulier des commentaires, qui est une manière de temps plus vif et pulsionnel quand les commentaires prennent plus d’intérêts encore.

Aussi, l’expérience montre-t-elle que tout se lit ou se devine, des intentions et des frustrations sinon des peurs ou des terreurs et des épouvantes sourdes et obscures dans les pré-conscients des commentateurs des forums. On dirait que, régulièrement, ça tourne en une débâcle des glaces chavirées par les libidos qui s’entrechoquent comme dans les grands fleuves russes qui se lâchent au printemps.

Ou ceci n’est pas sans évoquer les livres des fauves aux couleurs peintes et criardes de la tradition bouddhique tibétaine qui, certes recule devant la Chine, mais qu’elle sait, par cette cause d’errance, lâcher ses dragons dans toutes les rédactions ameutées de l’occident et donc dans Agoravox aussi. Le journalisme citoyen serait-il une sorte de création à mille mains pianotantes d’un nouveau "Livre des Morts", et vers un par-delà des antiques et modernes palabres ?

A la vérité, ma longue pratique des échanges dans ce média et durant un couple tumultueux d’années me fait assez épaule pour que je puisse dire ma conviction d’une utilité quasi psychanalytique ou, à tout le moins, psychologique des plateformes selon le prime modèle d’Agoravox ou Ohmynews, puis Centpapiers. Non seulement, parce que ces médias rabelaisiens "mirifiques et horrifiques" m’ont permis de rencontrer des personnes merveilleuses, et forcément people comme j’aime (on ne se refait pas même en pâte à modello). Mais aussi parce que Agoravox & Cie m’ont permis de côtoyer des personnes qui sont le plus souvent très éloignées socialement de ma sphère et de ma personne (on ne se refait pas mieux en mie de pain sec).

Et c’est une réalité de notre époque qui est mise en évidence. Les gens dans la ville même transposée à la campagne ou sur le net, ils se croisent certes, mais sans se connaître ou si peu. Comme si toute la société n’était plus, aujourd’hui, qu’une gare miteuse et vaguement mythologisée entre deux arrêts permanents, aux allures de tombales qui se reposent en paix dans un salon de thé. Mais tout ce qu’il y a de plus forum de la gentry.

Ainsi, par le biais de ces nouveaux médias ou médiums, on rencontre ceux avec qui l’on s’entend. Et, par ailleurs, on parle encore avec ceux qu’on a coutume de les réprouver dans la réalité qui est aussi bornée que stupide. Mieux encore, on en est changé ou transformé par des biais étrangers et progressifs assez imperceptibles, par l’effet d’une accoutumance très discrète et infinitésimale, qui est manifestement à l’oeuvre dans la réciprocité des échanges contradictoires. Sinon, qui dialoguerait encore ? Dans le même temps et en revanche, chacun est certainement bien ou mieux rassis, fermement ou fixement, dans ses propres opinions et sentiments avec lesquels chacun aime à coucher intimement comme dans sa propre odeur corporelle.

C’est-à-dire que, d’une part, ce médium sait naturellement nous éprouver en nous mettant en face de nos propres faiblesses, qu’il nous faut les travailler par l’usure. Enfin et d’autre part, il donne à nos meilleurs côtés — qui sont certes innumérables chez Madame et Monsieur What’d’ye’callum du "Livre des Snobs" de Thackeray — des rares connections qui savent les sublimer, vers des rencontres inouïes qui parviennent à érotiser la vie, définitivement.

Finalement, et quand on sait en tirer le meilleur parti, le journalisme citoyen (journalisme des gares contemporaines) mènerait tantôt à débattre avec la femme la plus canon du monde des canons, qui savent mettre le feu à un falzard de curé à l’autre bout de la gare métallique et sale. Un genre d’agora-gare en manière de vaste salle monumentale vaguement designée par un architecte dans le besoin mais pignon sur agora à Paris-la-chic’misère tout de même. Dans cet internet-là, des milliasses de paumés s’ignorent réciproquement et noblement en traversant les nombreux quais connectés.

Parmi tous ces destins apparemment tragiques, il est des rares visions virtuelles qui deviennent solides et qu’elles construisent une neuve réalité. Et ça vaut le coup du ticket aller simple, sans retour. On se rencontre dans les cafés et la vision se réalise plus forte que la réalité d’avant, hyperréaliste et symboliste. Et ces rencontres seraient à se multiplier dans ce siècle qui commence et qu’il s’ouvre sur de tels échanges utiles et rêveurs.

On conclura en disant que tous intervenants méritent le respect que l’on doit à des passants inouïs, qui sont en réalité perdus dans l’univers. Si banalement sublimes qu’ils sont parvenus à se rencontrer au milieu de ces univers physiques et mentaux, en des multiverses immenses et inconnaissables. Ce qui est grand merveille ! dirait notre Montaigne des aérogares de Nowadays qui causent vitement.

Demian West

1 comment:

Goulven Baron said...

Excellent article !