Saturday, May 26, 2007

Edward Hopper à Boston

Cet été, jusqu’au 19 août à Boston aux USA, on accroche aux cimaises le peintre le plus emblématique de la scène américaine. En effet, mieux qu’une énième rétrospective de Norman Rockwell ou d’un illustrateur pittoresque des States, on expose enfin, au Museum of Fine Arts, Edward Hopper, le plus énigmatique poète du quotidien.

Tout le monde se souvient de la nuit flashée au néon du "Nighthawks" qui est son tableau le plus fameux. Un café la nuit, ourlé de son néon autour des figures hâves d’un couple homme/femme séparés à jamais unis, dans cette longue nuit de la peinture si fixement ourdie. Car c’est un tableau rigoureux comme tout l’oeuvre de Hopper. Sa construction est géométriquement parfaite, c’est-à-dire classique. Puisqu’on ne saurait rien en retirer, ni rien y ajouter sans détruire l’ensemble même. Hopper travaillait beaucoup les esquisses, car il était un illustrateur à l’ouvrage. En douce, il avançait ses réalités tranchantes qui firent son réalisme singulier, hors de toute mode fugace ou fugitive. Dans ses oeuvres, le dessin est ensuite habité par des à-plats de couleurs puissants et lourds de la matière picturale qui vibre mais fixement. Car, son pinceau ne s’attarde guère en des effets trop tactiles.

Aussi, ses tableaux évoquent-ils la manière des cloisonnés de Gauguin le symboliste, qui cernait des grandes plages de couleurs vers l’abstraction. En revanche, les sujets de Hopper sont la scène américaine conformément au génie du lieu. On y voit des rues et les angles de rues, aussi les fenêtres ouvertes sur des individus isolés dans la grande ville qui est le lieu du péché en pays protestant. On y voit encore des stations d’essence, ou des maisons en bois devant des plages Amrica bleues comme la Grèce.

"La Maison près du chemin de fer" (en 1925) est devenue la petite maison inquiétante de Norman Bates dans "Psychose", au style épuré au couteau du grand Hitchcock. A la vérité, Edward Hopper est le fondateur du regard cinématographique devenu un art du cadrage imparable. Tout son oeuvre paraît un story-board du film du premier XXe siècle américain, et muet tout en couleurs criardes. Car les individus, pris dans ses pièges picturaux, se taisent tous, et semblent comme arrêtés dans une Amérique au bord de la "Twilight Zone", un peu en germe du maccarthysme.

Comment ne pas voir dans ces oeuvres d’allure presque antique, nos nouvelles statues grecques inchangées depuis leur lissage ? Plus encore, on y sent des réminiscences de l’"art métaphysique" de Giorgio de Chirico. Ses visions italiennes de places d’architectures cadrées à l’équerre. Aux tons si chauds qu’ils ont vidé la place de son humanité, hormis sous la forme des mannequins surréalistes. On y sent la synthèse baudelairienne qui va à l’essentiel. Comme Manet sut, en quelques à-plats, retrouver la violence de la peinture espagnole.

Aussi, Hopper est-il le précurseur du Pop Art warholien puis de l’hyperréalisme des années 1970. Les oeuvres de Hopper annoncent des vues new-yorkaises de Richard Estes, des voitures de Don Eddy. Les peintures des photoréalistes sont autant de citations de photographies que des manifestes du regard subjectif et résiduel du peintre, qui persiste malgré la mécanique de l’appareil photo. Mieux encore : l’hyperréalisme, à ce degré d’épure, atteint souvent à la plus philosophique abstraction. Puisque les enseignes et néons, bien cadrés, finissent immanquablement en des oeuvres de l’art abstrait. Il faut rappeler que, Théo Van Doesburg voulut appeler l’"art abstrait" à sa naissance et dans le Bauhaus des années 20-30 de Gropius et Kandinsky : l’"art concret". Finalement, ce fut le plus grand apport de Hopper. Il a su nous montrer que : plus on s’attache à rendre la réalité la plus tranchante et concrète, et plus on atteint à la surréalité, qui devient une irréalité parfois inquiétante ou névrotique. Selon la théorie développée par Freud dans son essai : "L’Inquiétante étrangeté".

Le casanier Hopper travaillait et vivait à New York jusqu’à sa mort en 1967. Il était un homme sans histoire, un peintre sans aventure. Un peu comme l’illustrateur Magritte qui peignait dans son salon sans jamais faire de tache ni de polissonnerie sur la nappe. Et pourtant, l’étrangeté de Edward le plaça hors du temps, comme un grand maître tellement unique qu’il a créé une école sinon un siècle.

Cette exposition est la rétrospective de Hopper, qui n’a lieu que deux fois par siècle. Vous pourrez donc y voir les carnets de croquis, les aquarelles et les peintures à l’huile du "maître dont le réalisme était sa poésie". J’y vois une formule qui ressemble beaucoup au "réalisme poétique" de Prévert et de Pierre Mac Orlan qui fut l’auteur de "Quai des Brumes". Un roman qui manifestait la poésie la plus fantastique qu’on trouve dans la réalité banale. Tant et si bien que ce roman est devenu un mythe du cinéma. Vers ce fond d’atmosphère des destins étrangers et solitaires du couple Gabin-Morgan, qui se rencontrent furtivement dans des ports près des bateaux qu’ils ne prendront jamais. Cette brume-là c’est l’essence même du Nighthawks...

Demian West

1 comment:

Anonymous said...

J'ai vu cette expo exceptionnelle en aout, et je trouve que tu lui rends hommage avec talent :)